vendredi 8 juillet 2016

Apprendre une langue - bons et mauvais aspects du bilinguisme

Les mois qui ont précédé et suivi le déménagement ont été remplis de "C'est super, tes enfants vont être bilingues!" "Quelle chance pour eux" "Les enfants, vous vivez une aventure extraordinaire". C'est vrai qu'en tant qu'adultes capables de voir sur du long terme, nous pouvons apprécier combien nos enfants gagneront à maîtriser deux langues (voire plus...) en termes de culture, d'opportunités de vie, mais aussi - soyons honnêtes - en termes d'opportunités de carrière. Nous mesurons aussi combien l'expatriation est une ouverture sur d'autres façons de voir le monde et donc un enrichissement culturel.

De l'autre côté de la barrière, par contre, les enfants voient à court terme. Sous leur angle de vision, ils quittaient tout ce qu'ils connaissaient et aimaient: une maison dans laquelle deux d'entre eux étaient nés, une école où ils se sentaient bien, une église où ils étaient les "chouchoux" de pas mal de monde, leur région, leur famille, leur langue... pour aller vers l'inconnu, dans une maison plus petite, sans aucune maîtrise de la langue, des codes, du rythme. Super, non? Super terrifiant, oui!

Nos tentatives d'apprentissage de l'anglais avant le départ n'ont pas été très concluantes: "Qu'est-ce que tu dis, maman? Non, j'ai pas envie..." Nos tentatives d'apprentissages durant le mois d'août, hébergés chez des amis, avant l'entrée à l'école, n'étaient pas forcément géniales non plus, et une vraie lutte pour faire ces cahiers de vacances achetés avant le départ dans un supermarché (au passage, MERCI à l'inventeur des cahiers par matière!!). Je dois une reconnaissance éternelle à la merveilleuse Helen, instit à la retraite qui a sorti du placard les jeux créées pour les élèves en difficulté qu'elle suivait les dernières années de sa carrière, pour travailler le vocabulaire des enfants.

Observer les enfants réagir et interagir avec cette nouvelle langue a été une expérience passionnante. Numérobis a été très réfractaire, parce qu'il liait son identité à sa langue, et avait au fond cette idée que "si je parle anglais, alors je ne serai plus français". Comme beaucoup de nos compatriotes, nous sommes peu démonstratifs envers nos emblèmes nationaux, et pourtant il n'y a jamais eu autant de drapeaux français dessinés qu'à cette période là dans notre famille.
Miss C. est une personne à essai-erreur: elle s'est jetée dedans à corps perdu, a placé tous les mots qu'elle pouvait dès le début, et a progressé rapidement. Numérobis est un ordinateur: il a téléchargé le logiciel, c'est-à-dire beaucoup observé, beaucoup écouté, très peu parlé les premiers mois, puis s'est complètement épanoui depuis 4 mois. Samsoum a bénéficié de nounous qui connaissaient un peu de français, et très pédagogues. Étant le plus jeune, il parle sans accent - enfin, il a l'accent d'ici, populaire et parfois dur à comprendre tellement ils avalent la fin de certains mots.

Et puis, l'école c'est super mais il faut non seulement apprendre à parler, mais aussi à lire, et à écrire.
Apprendre à prononcer toutes les lettres (on a encore parfois du mal avec les "s" du pluriel), apprendre à écrire à l'anglaise, pour que les camarades puissent relire - combien de barres au m?-, apprendre à compter et calculer en anglais. Notre salle à manger était transformée en salle de classe, avec plein d'indications de langage, des posters de nombres et de phonics. Le premier jour, les deux grands sont partis avec des cartes dans la poche, pour au moins avoir quelques mots de base: les toilettes, la cantine, la gomme...
Ce premier jour, ou ils sont partis dans leur classe avec leur teacher assistant, ils l'avaient redouté et attendu pendant un bon mois. Nous aussi, d'ailleurs. C'est avec pas mal d'appréhension que je les ai récupéré cet après-midi là. Mais ils avaient le sourire aux lèvres, tout s'était bien passé, ils avaient survécu. Nous avons même eu notre première anecdote, à propos du discours du directeur à l'assembly de début d'année. "Vous avez compris son discours?" "Pas trop, mais un peu, parce qu'il y avait des photos. Mais c'est bizarre, parce qu'il parlait tout le temps des cigales, des cigales, sauf que la photo elle montrait des mouettes!" sea-gull = mouette, c'est vrai que ça se prononce un peu comme cigale! Ah, mes petits sudistes...
Le deuxième matin, ça s'est gâté pour Numérobis: "Je veux pas y retourner! Ils vont encore parle en anglais toute la journée!" A partir de là, ça a été une lutte, pour parler anglais, pour faire les devoirs à la maison, parfois pour aller à l'école. Et une boule au ventre pour la maman, et toutes ces questions dans ma tête: "est-ce qu'on a fait une bonne chose? comment vont-ils s'en relever? et si ils se mettaient à détester l'école?" et, et, et...

Petit à petit, chacun a pris ses repères. Ce qui était insurmontable est devenu très difficile, puis compliqué, puis de l'ordre du faisable, puis super simple. Aujourd'hui on passe le temps qu'on est supposé passer sur les devoirs (10-15 minutes en gros), et les enfants parlent anglais sans y penser. Même si il manque parfois du vocabulaire, ou que la structure de la phrase est incorrecte.
Ça donne plein de mélanges amusants entre les deux langues. Les enfants utilisent l'équivalent français du mot anglais, du coup ils se lavent la face, prennent un livre dans la librairie, cherchent leur bouteille (leur gourde). Ils mettent aussi plein de mots anglais dans leurs phrases, notamment pour le vocabulaire de l'école: "on a fait math (à prononcer avec plein de ss dedans) et le teacher elle m'a donné un award pour mon comportement." "maman, je me suis fait mal à playtime".
Ils parlent parfois anglais avec une tournure française, parfois français mais avec des tournures de phrases à l'anglaise: "Quand je suis 5 ans", "J'ai tourné rouge", "Je supporte l'équipe de France", "j'ai joué avec la rouge voiture".
Les mots viennent dans la langue où ils sont le plus employés: c'est difficile maintenant de parler de cahiers et de crayons, mais chaise, brosse à dents ou lit viennent plus vite en français.

Vu qu'on n'a pas instauré de règles sur la langue qu'on parle à la maison, c'est un beau mélange. Petit à petit, depuis le matin de Noël où pour la première fois on les a entendu jouer en anglais, l'anglais a pris de plus en plus de place dans leurs jeux. Mais il n'a pas supplanté le français. L'histoire du soir est le plus souvent en français, mais on a récemment lu le 1er Narnia, en anglais, ou Paddington. Et quand l'appel est urgent, il peut étonnament venir en anglais d'abord "Mummy I hurt myself!". Les histoires des copains aussi viennent en anglais "Mummy, do you know what Lamborghini means?" (ahh, Lamborghini.. merci au petit Preston pour avoir nourri cette fascination obsessionelle!).

N'empêche, maintenant, c'est à nous d'être vigilants sur le français, ou je sens qu'on va finir comme les copines françaises dont les enfants sont nés ici, à leur parler en français mais n'avoir des réponses qu'en anglais. Depuis deux mois on est censés faire des devoirs en français (merci académie-en-ligne!!). Mon souhait serait qu'ils se maintiennent au niveau supposé de leur classe au moins en français et histoire géo. Mais figurez-vous qu'écrire en français, "c'est dur". Alors apprendre ce qu'est un adjectif qualificatif ou un COD, pensez donc! Il est possible qu'on en vienne à utiliser une Saturday French school,  une école où on travaille en français le samedi matin, avec d'autres francophones.
Je reconnais que j'ai beaucoup de mal à déterminer où placer la barre: est-ce que je veux qu'ils soient prioritairement bons en anglais, ou en français? Une de mes chances est qu'ils aiment lire, on va donc continuer à garnir la bibliothèque de livres français, ce qui devrait aider. Je devrais aussi insister pour qu'ils gardent des correspondants et envoient des lettres, mais je reconnais que j'ai la flemme d'alle rà la boîte aux lettres, et envoyer une lettre en France coûte quand même 1 pound, donc ça va vite entre les anniversaires, les vœux, les naissances... J'ai du abandonner l'idée qu'ils gardent leur écriture cursive, non obligatoire ici.

Bref, on n'a pas fini de se questionner, de faire des choix et de douter de nos choix après! Ah, le bonheur d'être parent...

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